Soudain,
je la rencontrai sur la plaine, au loin. Ses longs cheveux volaient au gré du
vent. Dans ses yeux, je vis que quelque chose n’allait pas :
« - Anna
? Que se passe-t-il ? Pourquoi tu rentres si tôt ? questionnai-je anxieux.
- Rien… du tout, articula-t-elle avec peine,
ne t’inquiète pas. »
Elle
était tordue de douleur devant moi, se tenant les côtes.
Et il ne
fallait pas que je m’inquiète…
« - …Il
faut… juste que… tu partes pour l’Amérique… sans moi.
- Je
n’y comprends rien. Et pourquoi devrai-je partir alors que tu agonises devant
moi ? demandai-je au bord des larmes.
- Je n’aurai… pas du… te le dire comme ça
mais… il faut que tu saches Tom, commença-t-elle en tremblant, les… les Boschs…
ils nous ont repéré… en plein passage et…
- Oh non, pas les Boschs ! »
Cette
phrase était partie sans que je puisse la retenir. Et je pleurais maintenant,
car je savais tout ce que cela pouvait signifier.
« - Ils
m’ont tiré dessus…mais j’ai réussi à m’enfuir… pour toi, murmura-t-elle, ils
nous poursuivent toujours. »
Une
larme coula de sa joue et forma une petite flaque à ses pieds.
« - Non
! hurlai-je, tu ne peux pas me faire ça, tu ne pas me laisser tout seul !
Viens, je vais t’emmener chez Joseph, il te guérira, et on fuira ensemble !
Tous les deux…
- C’est… trop tard, regarde, dit-elle
doucement comme si elle ne mesurait pas la gravité de la situation. »
Elle
ouvrit lentement son manteau de fourrure.
A
l’intérieur, une large tache de sang qui ne cessait de grandir. En plein dans
sa poitrine.
Mais ils
n’auraient pas ma sœur, non, pas elle. Elle faisait quelque chose de tellement
bien, mais de tellement détestable aux yeux des Boschs. En tout cas, c'était
sûrement mieux que ce qu'ils faisaient, eux.
Jamais
je n’avais imaginé qu’une telle chose puisse arriver. Pour moi, la menace nazie
n’existait qu’à la télé. Seulement elle venait d’atteindre ma sœur. Et je me
sentais coupable de ne rien pouvoir faire. Tout semblait s’arrêter autour de
nous. Le monde entier. Mes jambes me soutenaient à peine.
Je me
retins à la clôture qui bordait le chemin. Elle fit de même. Elle était encore
plus mal en point que moi.
« -
C’est fini pour moi… mais pas pour toi, tu peux… encore te sauver… avant qu’ils
n’arrivent, laissa-t-elle échapper dans un souffle. »
Je
m’approchai d’elle.
Elle qui
était encore si jeune.
Elle qui
assurait le passage clandestin des juifs de la France vers une terre non
occupée.
« -
J’ai accompli… mon devoir, acheva-t-elle avec un triste sourire. »
Pour la
dernière fois…
Je
l’étreignis encore très longtemps. Une éternité à mes yeux d’adolescent.
J’avais l’impression que ce simple baiser posé sur sa joue pouvait la guérir.
Elle
retomba lourdement sur le sol. Le mistral balaya ses longs cheveux entremêlés.
Elle ferma doucement les yeux. Une larme coula le long de sa joue, allant
s’écraser sur le sol. Son corps fut tressailli de violents tremblements et elle
hoqueta de douleur.
Puis
tout s’arrêta. Elle cessa de respirer et son cœur stoppa son lent battement.
Elle avait quitté ma vie. Elle avait quitté sa vie. Elle était morte.
Heureuse…
Puis le mistral balaya la plaine, emportant les
quelques souvenirs que j’avais d’elle...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Des petits commentaires font toujours plaisir, et font marcher le blog !
Merci !